Au cœur de la Wallonie, Charleroi s’affirme en 2025 comme un laboratoire de résilience et de renouveau économique. Sous la contrainte d’un contexte budgétaire d’une rare intensité, la ville fait face à des défis majeurs, tout en affichant une vitalité entrepreneuriale et un dynamisme porté par d’ambitieux projets structurants. Regards croisés sur une ville en pleine reconfiguration, où nécessité budgétaire rime avec innovation et engagement entrepreneurial.

Le carrefour des défis budgétaires : Charleroi entre rigueur et équilibre

Le budget 2025 de Charleroi s’inscrit dans un contexte d’exigences sans précédent. Depuis plusieurs années, la ville vit une dégradation rapide de ses finances communales, sous la pression de dépenses « exogènes » regroupées sous le sigle des « 4P » : pensions, police, pompiers et pauvreté. Ces dernières années, ces dépenses ont explosé de près de 95 millions d’euros entre 2018 et 2024, obligeant la ville à assumer seule des charges croissantes, souvent au bénéfice d’une population élargie à l’agglomération. Cette tendance est aggravée par l’évolution des politiques fédérales et régionales, avec, par exemple, la limitation des allocations de chômage à deux ans ou la non-indexation des subsides, alourdissant encore la charge sur la ville.

Dans ce contexte, Charleroi n’avait pas d’autre choix que de recourir au plan « Oxygène » du gouvernement wallon : un prêt de 112 millions d’euros, assorti de conditions strictes et d’un plan d’économies de 20 à 30 millions d’euros annuels. Cette convention comporte pas moins de 45 obligations : révision du cadastre, augmentation des impôts immobiliers, nouvelle taxe sur les centres commerciaux et les friches industrielles, indexation de la taxe poubelle, réduction des subsides aux associations, fin de certaines gratuités (garderies, services municipaux pour les non-Carolos, etc.).

Pour les habitants et acteurs économiques, ces mesures se font concrètement ressentir : hausse du précompte immobilier, introduction de redevances majorées (ex. parkings), multiplication des taxes sectorielles, et diminution des soutiens associatifs et événementiels. Malgré ces restrictions, la municipalité a présenté pour 2025 un budget initialement à l’équilibre, validé après d’intenses débats. Cet effort collectif, contraignant mais salvateur, trace les lignes d’une trajectoire budgétaire plus stable jusqu’en 2030 – un socle jugé indispensable par les autorités pour maintenir l’attractivité et garantir la poursuite des investissements.

Tapis roulant entrepreneurial : record d’initiatives et soutien renforcé

Face à cette rigueur budgétaire, la fibre entrepreneuriale locale n’a jamais été aussi active. Le tissu économique carolo, longtemps associé à l’industrie lourde et aux grands sites de production, se réinvente désormais autour d’un écosystème d’innovation, de PME et de start-ups. 2024 a été, selon Charleroi Entreprendre, une année record : plus de 500 projets portés, 240 nouveaux emplois créés et l’accompagnement de 60 entreprises fraîchement lancées. Cette dynamique représente un bond de 40 % par rapport à l’année précédente. Les ambitions ne s’arrêtent pas là : pour 2025, l’objectif annoncé est une hausse de 10 % du nombre de projets accompagnés.

Ce résultat est le fruit d’une refonte stratégique opérée depuis 2020, visant à simplifier les canaux d’accès à l’aide et à soutenir prioritairement les jeunes entrepreneurs et dirigeants de PME. C’est un point crucial, car ces entreprises représentent le pivot du renouveau économique carolo. Le spectre des entreprises accompagnées est large : de l’innovation pharmaceutique (CBX Medical) à la quincaillerie (Fernand Georges), en passant par les matériaux de construction (Plastic Wauters), l’animation et la création numérique (Dreamwall) ou encore le chantier naval Poncelet.

L’accompagnement ne se limite pas à l’aspect financier : il englobe la formation, le mentorat, la création de réseaux, et la mise à disposition de locaux adaptés. Dans ce sillage, des dispositifs comme le « Starter Fund 2025 » déploient de nouveaux outils financiers sous forme de prêts échelonnés pour les jeunes coopératives, avec des montants allant de 25 000 € à 100 000 €, adaptés aux besoins spécifiques des structures innovantes, agricoles ou sociales de la métropole carolo.

Des projets structurants pour changer l’image et la fonction de la ville

1. Megafactory : la nouvelle locomotive industrielle

• Le secteur industriel se réinvente avec l’arrivée d’investisseurs privés majeurs. L’exemple emblématique est la Megafactory : une infrastructure de 7 000 m² dédiés à la production de haute technologie, complétée par 4 000 m² de salles blanches. Cette usine novatrice, située sur un ancien site industriel en reconversion, promet la création de plusieurs centaines d’emplois et positionne Charleroi en pôle d’excellence au sein du secteur technologique régional.

2. A6K/E6K : l’essor du numérique et des formations

• La transformation numérique s’incarne dans le hub A6K/E6K. Vitrine de l’ingénierie et du développement informatique, ce centre bénéficie depuis 2024 d’une extension majeure : près de 20 000 m² supplémentaires pour accueillir start-ups, centres de recherche, universités, pôles de compétitivité et organismes de formation. L’ancien hall du tri postal, en cours de vaste rénovation, deviendra lui aussi un vecteur de la nouvelle économie collaborative, où l’on croise chercheurs, entrepreneurs et formateurs sur le même site.

3. Tirou 1 : vitrine immobilière et mixité urbaine

• Symbole du renouveau du centre-ville, le projet “Tirou 1” concrétise la volonté municipale de repenser la ville de demain. Situé au numéro 1 du boulevard Joseph Tirou, ce bâtiment de 14 étages ambitionne, à l’horizon 2025, de regrouper près de 21 000 m² de bureaux high tech, 23 appartements contemporains, des parkings souterrains et de vastes espaces pour vélos. Ce projet, au cœur de la cité, vise à attirer des entreprises innovantes tout en revitalisant la vie urbaine et commerciale.

4. Dockin : le pôle d’innovation sur les quais de la Sambre

• Porté par Sambrinvest, le Dockin s’est imposé dès 2024 comme une nouvelle adresse majeure de l’innovation carolo. Doté de six étages ultramodernes et d’un rez-de-chaussée voué à l’horeca, accessible directement depuis la Sambre, il joue un effet catalyseur sur la rive basse de la ville. Sa localisation, à proximité immédiate du hub A6K/E6K et de la gare, en fait une source privilégiée pour attirer projets, chercheurs et créateurs de toute la région.

Le privé comme force motrice

Si les partenariats public/privé s’affirment dans ces nouveaux projets urbains et économiques, l’initiative strictement privée est aussi en pleine expansion. De grands groupes comme AGC (leader mondial du verre) et Sonaca (acteur majeur de l’aéronautique) poursuivent leurs propres programmes de développement en synergie avec l’innovation locale. Ces dynamiques illustrent la vitalité retrouvée du paysage industriel carolo, désormais réorienté vers la haute technologie, les matériaux avancés et les services à haute valeur ajoutée.

Entre contraintes sociales et espoir économique

Les nouvelles réalités budgétaires se manifestent néanmoins dans la vie quotidienne : pour de nombreux Carolos, il n’a jamais été aussi difficile de concilier hausse de la fiscalité, raréfaction de certains soutiens sociaux, et adaptation à un marché du travail en pleine mutation. Face à cela, la municipalité revendique l’effort collectif : réduction des effectifs politiques, diminution des frais de fonctionnement, réorganisation des services administratifs et mobilisation de tous les moyens disponibles pour maintenir la cohésion sociale.

La centralisation du soutien aux PME et la création de nouveaux guichets d’information sont perçues comme autant de leviers pour stimuler l’inclusion économique. L’accent est également mis sur la reconversion des friches industrielles, la promotion de l’économie verte, et la stimulation de la logique coopérative. L’objectif est double : pérenniser l’emploi, et diversifier les sources de croissance au bénéfice du plus grand nombre.

Charleroi, laboratoire d’une Wallonie en transition

Plus que jamais, Charleroi avance à la croisée d’une histoire industrielle pesante et d’un avenir à inventer. Le spectacle des chantiers urbains, le bouillonnement des start-ups numériques, l’essor des hubs d’innovation et la refonte du soutien à l’entrepreneuriat traduisent une réalité : la ville, contrainte à la sobriété budgétaire, s’engage résolument sur la voie du renouveau. En résulte une dynamique faite de contrastes, d’audace et de solidarité.

Si le chemin reste semé d’embûches, Charleroi incarne en 2025 l’image d’une métropole régionale à la recherche d’un nouveau souffle, où le sursaut entrepreneurial et l’ambition urbaine laissent entrevoir les contours d’un modèle économique plus diversifié, inclusif et durable.